Chrétiens en Ubaye

chaque français amoureux de la France est concerné par la situation de l'église

Le Dim 11 sept 2022 à 05:52

Dans 2022

Jean-Pierre Maugendre est président de Renaissance catholique. Le samedi 24 septembre prochain, il organise à la Maison de la chimie à Paris un colloque intitulé « Quel avenir pour la Messe traditionnelle ? »

Gabrielle Cluzel : Il ne vous aura pas échappé que Boulevard Voltaire n'est pas un site confessionnel… À l'heure de la « fin de la chrétienté », pour reprendre le titre du dernier essai de Chantal Delsol, ces querelles liturgiques ne risquent-elles pas de passer pour picrocholines aux yeux des Français ? En quoi les concernent-elles ? 

Jean-Pierre Maugendre : Il n’aura pas échappé aux Français qui aiment la France que la civilisation française est aujourd’hui menacée de disparaître. La crise est, aujourd’hui, économique, sociale, démographique, politique, intellectuelle et spirituelle. Or, notre civilisation est l’héritière du triptyque Athènes, Rome, Jérusalem. Personne ne contestera que le christianisme a marqué en profondeur nos us et coutumes comme les paysages urbains et ruraux de notre pays. Toutes les visites touristiques de nos récentes vacances en témoignent, de Rocamadour au mont Saint-Michel. Logiquement, tout ce qui affecte l’Église a des conséquences immédiates sur une société avec laquelle elle a tissé depuis très longtemps (baptême de Clovis en 496) des liens très forts (séparation de l’Église et de l’État en 1905). Il est certain que l’Église n’a plus dans la société française l’influence qu’elle a eue. Il est non moins certain que l’Église continue de jouer un rôle comme autorité morale et comme marqueur social d’encore beaucoup de Français à certaines étapes de leur vie : mariage, décès, etc.

Dans son autobiographie Une vie, Simone Veil témoigne de l’attitude des évêques de France à propos de l’avortement : « Je n’ai pas rencontré de difficultés insurmontables avec les autorités religieuses. » En bon français : les évêques de France ne se sont pas opposés à la dépénalisation de l’avortement et d’ailleurs, note l’ancien ministre, s’ils s’y étaient opposés la loi n’aurait pu être votée. Si l’on pense que l’identité de la France lui est arrachée au moyen d’une tenaille dont les deux mâchoires sont le mondialisme hédoniste et l’islam militant, la défense de cette identité ne peut faire l’impasse sur ce que la France doit à l’Église, à son enseignement, à sa discipline, à sa liturgie. Quand une église accueille en son sein des prières musulmanes, c’est l’identité de la France qui est en péril. Quand les évêques de France appellent à l’accueil inconditionnel des migrants, c’est encore l’identité de la France qui est menacée. Quand la suspension du culte public, sous couvert de lutte contre la pandémie de Covid-19, n’entraîne aucune protestation épiscopale, c’est une liberté élémentaire - celle de rendre à Dieu le culte public qui lui est dû - qui est bafouée.

Sous cet aspect, chaque Français amoureux de la France est concerné par la situation de l’Église. Il n’est pas indifférent pour l’avenir de notre pays que la loi naturelle soit défendue ou non, que les églises soient pleines ou vides, que les prêtres prêchent les réalités surnaturelles ou se muent en travailleurs sociaux, etc. La France est un trop vieux pays chrétien pour que le sort de l’Église n’ait pas d’impact sur le sien propre. De plus, comme le notait René Grousset dans son précieux ouvrage Bilan de l’histoire : « En général, aucune civilisation n’est détruite du dehors sans s’être tout d’abord ruinée elle-même, aucun empire n’est conquis de l’extérieur qu’il ne se soit au préalable suicidé. Et une société, une civilisation ne se détruisent de leurs propres mains que quand elles ont cessé de comprendre leurs raisons d’être, quand l’idée dominante autour de laquelle elles étaient naguère organisées leur est devenue comme étrangère. »

 

G. C. : En toile de fond de ce colloque, bien évidemment, le motu proprio Traditionis custodes du pape François... Est-il spécialement grave pour «tradiland» ou celui-ci, finalement, en a-t-il vu bien d'autres ? 

J.-P. M. : Ce motu proprio est effectivement très contrariant. Cependant, la situation pour les fidèles attachés à la liturgie traditionnelle de l’Église me paraît bien meilleure qu’il y a cinquante ans. À partir de 1969, la réforme liturgique a été imposée par surprise et avec une très grande brutalité. Beaucoup se sont soumis, par respect de l’autorité et dans l’attente des fruits attendus de « la nouvelle Pentecôte de l’Église ». Aujourd’hui, le constat est sans appel. La réforme liturgique a vidé les églises et, Guillaume Cuchet l’a démontré, les familles qui ont le mieux transmis la foi sont celles qui ont le moins adhéré aux réformes. La résistance significative au motu proprio Traditionis custodes de la part de certains laïcs, évêques et cardinaux est sans commune mesure avec l’acceptation générale des réformes, en 1969, mis à part le Bref examen critique du nouvel Ordo missae des cardinaux Ottaviani et Bacci et l’action de Mgr Lefebvre.

 

G. C. : À l'instar de Patrick Buisson, pensez-vous que « c'était mieux avant » ? Et dans ce cas, pourquoi un si bel édifice, si ancien et si solide, s'est-il si vite effondré ? Peut-on se contenter de dire que c'est « la faute à Vatican II » ? 

Qui oserait vous répondre en affirmant « C’est mieux aujourd’hui » ? Je ne crois pas que ce bel et ancien édifice se soit si vite effondré. Depuis la «fin de la chrétienté» qui correspond, en fait, à la Réforme protestante, l’Église évolue dans un monde où son rôle de Mater et magistra, mère et maîtresse de vérité, lui est dénié. Elle détenait la Vérité sur Dieu et sur l’homme et elle la transmettait aux peuples. Depuis la Réforme et la Révolution française, les paradigmes ont été inversés. La vérité ne vient plus d’en haut. Il n’existe plus d’ordre naturel des choses ni de « lois non écrites, immuables voulues par les dieux » (Antigone). S’impose alors ce que Benoît XVI avait appelé « la dictature du relativisme ». L’homme, d’abord, interprète, seul, sans l’Église, l’Écriture puis décide, seul, de ce qui est bien et de ce qui est mal. Enfin, il choisit lui-même ce qu’il veut être : homme ou femme. La pente logique est inéluctable. N’est-ce pas Bossuet qui observait « Dieu se rit des hommes qui déplorent les maux dont ils chérissent les causes » ?

Dans un ouvrage remarquable, L’Église occupée, Jacques Ploncard d’Assac a analysé comment l’Église peu à peu, depuis la Réforme, s’est ralliée aux valeurs d’un monde dont les principes fondateurs étaient en opposition radicale avec ses propres règles et fondements. Les termites mettent des années à ronger la charpente qui s’effondre en un instant. Si l’effondrement peut être très rapide, le travail de sape antérieur, lui, remonte loin dans le temps. Concernant Vatican II, ce concile « pastoral » s’inscrit dans le mouvement plus ancien décrit ci-dessus. Il formalise la volonté de l’Église de ne plus condamner le monde et ses valeurs mais de se rallier à lui afin de le convertir. Le Christ lui-même nous l’enseigne : « Un bon arbre ne peut pas porter de mauvais fruits pas plus qu’un mauvais arbre n’en peut porter de bons. Tout arbre qui ne donne pas de bons fruits est coupé et jeté au feu » (Mat VII, 18). À chacun de juger et d’en tirer les conséquences… Je conclurai, citant Dom Gérard, fondateur de l’abbaye bénédictine du Barroux et auteur du livre Demain la chrétienté, à l’arrivée du pèlerinage de Pentecôte à Chartres en 1985 : « Très sainte Vierge, rendez à ce peuple sa vocation de soldat, de laboureur, de poète, de héros et de saint. Rendez-nous l’âme de la France. »